Existe-t-il en France une télévision d’auteur comme il y eut un cinéma d’auteur à l’aube des années soixante dans le monde ? À l’heure où les intellectuels tirent à boulets rouges sur le petit écran, les études proposées dans ces deux tomes viennent attester l’existence d’une télévision d’auteur, d’une télévision des auteurs, d’un champ d’expressions ouvert aux auteurs de documentaires en 1987 depuis la création de la SEPT, Société d’Édition de Programmes de Télévision, à l’origine de la chaîne ARTE. À la fin des années quatre-vingt, les fondateurs d’ARTE se plaisaient à dire que “Le documentaire, c’est la télévision même.” C’était là une définition paradoxale qui assignait au petit écran une mission culturelle spécifique et prioritaire : traiter le réel par des œuvres de télévision. Des œuvres coproduites et diffusées par et pour la télévision. On assiste alors au renouveau du documentaire qui devient un genre de télévision. Ce qu’il n’était plus depuis les grandes heures de l’ORTF. Et lorsque ARTE naît en 1992, la SEPT aura en réserve plus de mille heures de longs métrages documentaires dont l’élaboration impliquait, comme au temps de la Nouvelle Vague, l’émergence d’une politique des auteurs. La responsabilité de cette politique incomba à Thierry Garrel, qui se trouvait dès le début en 1987, à la tête de l’unité de programmes Documentaires. Il est encore à cette place en 2003.

Françoise Berdot, universitaire et réalisatrice de documentaires, a adressé à Thierry Garrel cette question plutôt embarrassante : “Quelles sont les chefs-d’œuvre de la première décennie du documentaire de télévision (1987-1997) ?” Elle n’en demandait que dix. Elle en reçut dix-sept. Elle se livra à une longue étude sur quatorze documentaires d’auteur (dont des séries) en considérant chaque film comme un cas, comme un être qui livrerait peu à peu les symptômes de ses innovations. Avant d’approcher les ses secrets esthétiques de chacune des œuvres sélectionnées, l’auteur de cet ouvrage questionne le genre documentaire lui-même. En quoi le documentaire diffère-t-il du reportage ? En quoi consiste la mise “en œuvre” du réel ? Qu’est-ce qu’un regard d’auteur ? Qu’est-ce qui transforme les personnes en personnages et la représentation du réel en écriture singulière du monde ? Les grands documentaires du siècle sont confrontés aux esthétiques de la tragédie, du roman et du cinéma. Au fil de ces pages, les considérations théoriques se mêlent toujours à des réflexions concrètes sur la production, sur la réalisation et le montage. Ces études s’adressent donc autant aux professionnels de l’image qu’aux étudiants de cinéma. Elles peuvent aussi concerner le citoyen téléspectateur payeur de “redevance” à destination des chaînes publiques.
Cette étude du premier gisement de la SEPT-ARTE a le mérite d’offrir un horizon esthétique au petit écran, de l’agrandir à la taille du Septième art et d’attester par là même l’existence d’une politique des auteurs dans l’histoire récente de la télévision.